Drôles de héros – les comiques du début du cinéma

À l’occasion de la 4e édition de SYNCHRO, festival de ciné-concerts, la Cinémathèque de Toulouse égaie les murs du ThéâtredelaCité avec plusieurs affiches parmi les plus anciennes de sa collection.
Avant de s’élever au rang de « septième art », le cinéma est d’abord considéré (et se considère) comme un simple divertissement populaire dans lequel le rire vient ponctuer les séances ; le genre comique se développe donc et dessine ses contours dès les premières années du muet.
Le gendarme est sans culotte, Le Retour de Manivelle, Gontran est puni par où il a péché, La Culotte de Rigadin… Par leurs titres comme par le style des illustrations, ces affiches nous montrent le comique visuel fondé sur la mécanique des corps qui irriguera les trois premières décennies du cinéma.
À partir de 1906, les différentes maisons de production françaises lancent la mode des séries de courts métrages dans lesquels on retrouve de film en film le même héros : un personnage comique aux traits distinctifs dont le nom ou le sobriquet doit apparaître dans le titre. Les écrans se peuplent ainsi de Rigadin, Gontran, Boireau, Bébé, Rosalie et Mistinguett pour amuser la galerie ; chaque firme – Gaumont, Pathé, Éclair, pour ne mentionner que les principales – a ses personnages et ses vedettes. Parfois, des couples se constituent, combinant les personnalités des caractères comiques pour déclencher encore plus et mieux le rire de l’assistance.
Les comédiens sont recrutés dans le milieu du théâtre, du music-hall ou encore du cirque. Ils apportent à l’écran l’héritage du vaudeville ou la gestuelle du clown et une science aiguë du rythme. En bons pionniers, ils arrivent à s’emparer de ce nouveau média : ils voltigent, jouent aux courses-poursuites, délirent joyeusement en s’éloignant décidément du théâtre filmé. Dans un premier temps, les acteurs s’effacent devant leur personnage : on retient le nom de Boireau, pas forcément celui d’Andrée Deed, le comédien qui l’interprète. Mais, peu à peu, ces artistes qui ne se prennent pas au sérieux s’élèvent, dans certains cas, au rang de grandes figures du burlesque. Avec Max Linder, Léonce Perret ou Charles Prince en France, avec Charlie Chaplin, Buster Keaton ou Laurel et Hardy aux États-Unis, l’acteur-auteur prend le pas sur le masque qu’il interprète. Les affiches doivent coller à la peau du personnage, signifier immédiatement au public qu’il rira, et lui laisser imaginer comment il rira (grivoisement, naïvement, aux éclats…) grâce aux choix graphiques, aux scènes sélectionnées et au trait, souvent caricatural, qui permet d’identifier le personnage.
Parmi les affiches exposées, allant de 1911 à 1919, on remarquera trois très grandes lithographies de films de Louis Feuillade. Scénariste, réalisateur et directeur artistique de la firme Gaumont pendant vingt ans, Feuillade est l’un des grands protagonistes des débuts du cinéma. Maître des serials fantastiques (parmi lesquels Fantômas, Les Vampires et Judex), il explora sans réserve les genres et réalisa de nombreux films comiques. Nous retrouvons ici Le Retour de Manivelle, un vaudeville cinématographique relatant les mésaventures d’un mari qui rentre chez lui en se trompant d’appartement et de femme ; il finira emprisonné dans un matelas sur lequel se coucheront la voisine et son mari, qu’il avait précédemment pris pour sa femme et l’amant. Ou encore Le gendarme est sans culotte, où un agent se retrouve séduit par une assistante à la mise en scène, puis privé de ses pantalons d’ordonnance pour les besoins du cinématographe. Et pour terminer, Les Millions de la bonne, comique de quiproquo dans lequel la bonne, confondue avec une millionnaire sous couverture, est servie et choyée par ses employeurs, qui espèrent en obtenir une récompense. Tout finira bien, comme d’habitude, dans la joie et la bonne humeur.
Certaines de ces affiches, conservées précieusement et restaurées par la Cinémathèque de Toulouse, demeurent les seuls témoignages de films aujourd’hui disparus.
Francesca Bozzano, directrice des collections de la Cinémathèque de Toulouse
du mardi au samedi de 14h30 à 18h30 ainsi que les soirs de représentation
ThéâtredelaCité – Entrée libre