L’avènement de l’image d’archives dans le cinéma – Films de montage
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Conférence de Matthias Steinle
Les images d’archives sont omniprésentes dans notre culture visuelle, par le biais du cinéma et de la télévision, de la presse, de la muséographie ou encore dans les manuels scolaires. Or, les images n’ont paradoxalement pas toujours été pensées et enregistrées dans cette perspective. On retracera lors de cette conférence, sur la base d’extraits de films, l’histoire du devenir archives des images animées à partir des premières réflexions proposant la création d’archives de cinéma déjà, peu après la naissance de celui-ci. Mais ce n’est que dans le contexte de la Première Guerre mondiale que des archives seront créées dont les fonds serviront ensuite à montrer aux générations suivantes ce qu’a été la guerre « réellement ». L’idée que des images prises dans le passé aient une valeur ajoutée parce qu’elles sont l’enregistrement de ce passé a été au centre d’un débat passionné au sein de l’avant-garde russe. Pour ce qui concerne la façon de représenter l’histoire, on loua l’approche d’Esther Choub de travailler uniquement avec des images « non jouées », c’est-à-dire des images documentaires extraites d’anciennes actualités ; inversement Eisenstein fut vivement critiqué, pour avoir fait appel à des acteurs, là où il eût fallu montrer le « vrai Lénine » et par la suite Vertov pour avoir réduit les archives filmiques en miettes subjectivistes. C’est le régime nazi qui, le premier, va produire des films pour une utilisation ultérieure, afin que l’avenir ait des documents de sa « grandeur » et, cyniquement, des « races inférieures » disparues. Lors de la Seconde Guerre mondiale sont utilisées de façon extensive des images du passé, ceci afin de délégitimer l’ennemi et si la série Why We Fight (1942-1945) de Frank Capra demeure l’exemple le plus connu, la méthode de reprise d’images de l’adversaire à des fins de (contre-)propagande fut une pratique courante.
L’image d’archives, dans l’acception contemporaine du terme, c’est-à-dire un document créé dans le passé et conservé pour sa valeur historique donnant un accès direct au passé, va s’imposer dans les années 1950 avec la réalisation de films de montage, dont les plus importants documentent le fascisme et la guerre comme Nuit et brouillard (1955) d’Alain Resnais ou Mourir à Madrid (1963) de Frédéric Rossif. Après la guerre, les images d’archives furent aussi beaucoup utilisées dans des films de fiction. La façon de mettre à contribution les images d’archives – le plus souvent de façon illustrative et affirmative, parfois réflexive et subversive – a peu évolué. Aujourd’hui, à l’époque du présentisme dominant, l’image d’archives est perçue comme défaillante, mais, grâce au numérique, elle est devenue perfectible : en la colorisant pour répondre au mythe d’un accès direct au passé.
Pour retracer l’avènement de l’image d’archives dans le cinéma, on tentera lors de cette conférence de montrer les logiques mémorielles, discursives et idéologiques, mais aussi économiques et pratiques qui ont concouru à ce que des images du passé aient été valorisées comme telles, car on ne naît pas images d’archives, on le devient.
Entrée libre dans la limite des places disponibles
Dans le cadre de la section Films de montage