Sueurs froides (Vertigo)
Alfred Hitchcock. 1958. USA. 128 min. Coul. DCP. VOSTF.
« Aucune gouttière, aucun peignoir rouge, aucun séquoia, aucun tailleur gris, aucune rue de San Francisco n’ont vraiment existé à l’écran depuis Vertigo. Aucun film, en effet, ne ressemble à celui-là », écrivait Serge Daney. Vertigo est devenu un objet de culte. Une parfaite machine. Une histoire de machination. Et un cinéma de la machination, où le cinéaste embarque et déroute le spectateur, livrant finalement deux films en un. Un pur chef-d’œuvre. Le cinquante-quatrième film d’Alfred Hitchcock, une pièce maîtresse dans une filmographie fleuve inspirée du roman D’entre les morts de Boileau-Narcejac publié en 1954. L’histoire d’un ancien flic sujet au vertige chargé par un ami de filer sa femme… La suite ne devrait jamais être écrite ou racontée, même pas au coin du feu dans le plus grand secret et encore moins dans les très sérieux livres de l’histoire du septième art. Pourquoi ? Tout simplement parce que Sueurs froides est un film total, l’œuvre somme d’un cinéaste au sommet de son art. Sueurs froides représente tout ce que le cinéma peut offrir de meilleur en l’espace de cent vingt-huit minutes inégalables et inégalées ; une histoire d’amour et d’obsession, une remarquable énigme policière dont Maître Hitchcock se plaira à révéler les ficelles trente minutes avant la fin, et pour les personnages une terrible plongée au fond d’eux-mêmes. Un film tout à la fois métaphysique, psychanalytique, poétique, intense et par moments expérimental (cf. ce fameux travelling compensé utilisé ici pour la première fois). Quand la transposition psychotique de l’être aimé devient une spirale mentale aussi obsessionnelle que romanesque. Quand le fantastique s’immisce dans le réel uniquement pour le meilleur. D’ailleurs, Sueurs froides pourrait aisément postuler au titre de meilleur film de fantôme de tous les temps, mais Alfred Hitchcock préfèrent emmêler les fils de la culpabilité, de la machination, de l’amour, de l’illusion et de l’onirisme. Des fils qui se nouent en d’infinies et vertigineuses variations soutenues par l’impeccable et envoûtante partition du fidèle compositeur Bernard Herrmann. De perfection, il sera encore question quand James Stewart croisera le fer avec Kim Novak. Lui, décrochait là l’un des meilleurs rôles de sa carrière et elle, relevait le défi de succéder à Grace Kelly, symbole de la « blonde hitchcockienne ». Et l’un et l’autre se glissant et se lovant dans la somptueuse palette chromatique du Technicolor, constituée de couleurs douces ou saturées. Sueurs froides ou l’art d’utiliser la couleur comme un langage à part entière et l’art, bien sûr, de savoir éclairer un chignon, motif qui allait hanter toute l’histoire du cinéma à venir. Et ce n’est pas François Truffaut, Claude Chabrol, Lucio Fulci, Brian De Palma, Paul Verhoeven, David Lynch et les autres qui vous diront le contraire.
Tirez les fils de Sueurs froides et vous rencontrez : Mulholland Drive, La Chambre verte, Decision to Leave et Les Diaboliques.